La musique populaire québécoise partait de loin...
Il faut se rappeler qu'en 1957, Elvis Presley a donné des spectacles à Toronto avant de venir à Ottawa. Il devait aller jouer à Montréal le lendemain soir, mais le spectacle a été annulé en raison de la pression exercée par l’hôtel de ville et les représentants de l’Église catholique qui jugeaient exagérés ses déhanchements sur scène, qui lui ont valu le surnom de « Elvis le pelvis », et qui craignaient ne pas être en mesure de contrôler les foules qu’il attirait partout il où il passait. « Ils étaient convaincus que sa musique inciterait les jeunes à commettre des gestes de dépravation morale.»
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Elvis est arrivé dans la capitale canadienne le 3 avril 1957 pour y donner deux spectacles à l’Auditorium d’Ottawa le jour​ même. Presley a rocké la capitale, devant une foule de 9 000 personnes pour chaque spectacle. Environ 500 admirateurs de Montréal sont montés à bord d’un train spécial, le « Rock ‘n’ Roll Cannon Ball ». Huit étudiantes du couvent Notre‑Dame, qui avait interdit à ses étudiantes d’assister au spectacle, ont été expulsées parce qu’elles y étaient quand même allées.
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« La musique populaire n’avait jamais connu d’idole qui suscitait autant d’hystérie parmi ses admirateurs. La présence d’Elvis ici et partout au Canada était un moment phare dans l’évolution de la musique canadienne et dans la création d’une nouvelle génération d’amoureux de la musique au pays, » a expliqué le sénateur Gold.
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Référence : LES SÉNATEURS PARTAGENT UNE PAGE D’HISTOIRE AVEC ELVIS
Pour se replonger dans le maelström musical des années fin '60- milieu '70 et comprendre la "bulle" créatrice qui s'en est suivie, voici la présentation de l'éditeur et réalisateur, Jean-Pierre Sévigny, qui accompagne l'excellente compilation "L'ULTIME ROCK PROGRESSIF DU QUÉBEC".
http://www.galarecords.ca/francais/descript/rockprog.htm
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Aujourd’hui, l’amateur de musique peut se demander en quoi consiste le rock progressif. Le texte de Réjean Beaucage, ci-dessous, nous éclaire sur ce sujet (La première anthologie des musiques progressives québécoises).
Grande oubliée de l’histoire de la musique populaire (plusieurs albums importants n’ayant jamais été réédités jusqu’à tout récemment) et sous documentée, cette musique est pourtant très populaire dans les années 70 au Québec. La province (et pas seulement Montréal) est un des berceaux du rock progressif de la planète. En écoutant cette anthologie des meilleurs moments des musiques progressives québécoises, on comprend pourquoi. Les groupes cultes ont créé un genre musical libre de formules pré-formatées, un univers où les idées foisonnent et les instrumentistes s’illustrent. Ces œuvres uniques et remasterisés sonnent mieux que jamais.
Le « prog rock » est apparu à la fin des années 1960, sous la pulsion créatrice de groupes britanniques tels que les Beatles, et a connu son âge d’or dans les années 1970. Au Québec, le rock progressif a été oublié et ne figure dans aucun livre d’histoire, dictionnaire ou encyclopédie. « Je me souviens » …mais de quoi au juste ! Au sein de l’industrie du disque et de la radio commerciale, le rock progressif demeure – pour paraphraser Freud – une musique étrange et inquiétante. En effet, comment commercialiser et marchandiser ces musiques qui font fi de toutes les conventions établies et normatives de la musique populaire de masse, ces chansons de trois minutes aux refrains facilement assimilables, dotées de « hooks » accrocheurs, de couplets répétitifs et de petits solos ? Le rock progressif est à mille lieues de tout cela et demeure, aujourd’hui encore, un art multiforme et enrichissant qui a puisé aux sources de plusieurs traditions musicales : jazz, funk, folk, traditionnel, musique symphonique, musique de chambre, électroacoustique et musiques du monde.
Les musiciens du rock progressif – le son des années 1970 – ont inventé une nouvelle façon de concevoir et de jouer de la musique.
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Michel Rivard chantait : « En soixante-sept tout était beau / C’était l’année d’l’amour, c’était l’année d’l’Expo (...) »... Mais 1967, c’était aussi l’année de la parution du très surprenant Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles, un disque enregistré non pas pour promouvoir la tournée suivante du groupe (les Beatles ont donné leur dernier concert le 29 août 1966, au Candlestick Park de San Francisco), mais pour permettre aux musiciens de lâcher la bride à leurs inspirations multiformes, le contexte, qui leur était pour le moins favorable, leur permettant les explorations musicales les plus folles. On trouve dans cet album des Beatles presque toutes les caractéristiques qui définissent ce qui deviendra le « rock progressif » : un rock qui va plus loin, qui n’est pas simplement conçu « pour faire danser les bougalous », comme le chantait Robert Charlebois dans Ordinaire, en 1970… Tout d’abord, l’instrumentation utilisée est extrêmement sophistiquée et dépasse largement le concept « guitares-basse-batterie ». Il y a par exemple, dans la pièce-titre, un très inhabituel quatuor de cors français et, dans une autre pièce, un quatuor à cordes, du clavecin, etc. Deuxièmement, la production du disque, même à une époque où l’on enregistrait sur quatre pistes, est un véritable petit chef-d’oeuvre de montage et de design sonores qui utilise tous les trucs disponibles dans un studio d’enregistrement opéré par des ingénieurs du son imaginatifs. Ensuite, les pièces sont de styles fort diversifiés, mais la plupart d’entre elles s’enchaînent et sont unifiées par un thème, ce qui fait de cet album l’un des premiers « albums concept » (de nombreux groupes du genre en feront par la suite). Ce disque des Beatles est aussi l’un des premiers (sinon le premier) des disques de « musique pop » à inclure la retranscription des paroles des chansons sur sa pochette, un détail qui montre bien que cette musique a «quelque chose à dire de plus» (même si ce n’est pas toujours très compréhensible) ! Enfin, la pochette elle-même comporte une foule de détails graphiques qui se rapportent au contenu musical, à commencer par les Beatles eux-mêmes, qui y prennent littéralement une nouvelle identité en enfilant les costumes du Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band (comme le fera Peter Gabriel avec Genesis, ou les membres de l’Infonie chez nous, de Magma en France, etc.).
Les jeunes musiciens de l’époque comprendront rapidement que l’on peut désormais créer une musique qui n’est pas forcément destinée au « top 40 » et que l’on peut faire du rock sans se priver d’utiliser d’autres genres musicaux. Par exemple, les musiciens ayant étudié dans des institutions (conservatoires) ne se gêneront plus pour intégrer leurs influences venues de la musique classique ou de la musique contemporaine, et la virtuosité propre aux grands musiciens deviendra un élément important du rock progressif.
Le vent de fraîcheur musicale apporté par les Beatles souffle sur une année charnière : en 1967, en Angleterre, naissent ou s’activent déjà les premières incarnations de Van der Graaf Generator, de King Crimson (Giles, Giles & Fripp), de Genesis, de Jethro Tull et de Gentle Giant (Simon Dupree and the Big Sound), entre autres, et Pink Floyd lance son premier disque. Il serait de mise que tout cela ait commencé dans « les vieux pays », mais chez nous, en effet, tout était beau, et l’Exposition universelle de Montréal était l’un des plus beaux fruits de la Révolution tranquille, qui éveillait les consciences par centaines et remettait les pendules à l’heure.
L’Infonie, c’est 1967 aussi, et c’est bien l’Expo qui en sera le déclencheur. Qu’ils aient en poche un passeport de l’Expo ou qu’ils aient en tête quelques airs opiacés en provenance du summer of love de la côte ouest états-unienne, ils seront bientôt nombreux chez nous à faire de la musique autrement. À une époque où une très grande partie de la jeunesse québécoise s’époumonait encore, avec un train de retard, devant les « vedettes » que lui offrait Pierre Lalonde à « Jeunesse d’aujourd’hui » (1962-1971), faire autrement, c’était diablement original et passablement risqué. En 1969, l’Infonie ridiculisera d’ailleurs le genre « Jeunesse d’aujourd’hui » sur son premier disque, avec la pièce Viens danser le «O.K. là»!
Toujours en 1969, du côté de Valleyfield, le groupe Dionysos voit le jour. Son premier disque, un 45 tours, paraît à l’automne 1970. C’est Suzie, un clin d’oeil à un autre artiste, américain celui-là, dont la musique a inspiré beaucoup de musiciens de chez nous : Frank Zappa (« Zappa d’ami, Suzie Creamcheese! »). En 1974, Plume Latraverse le salue aussi en chantant une ligne de Cruising for Burgers à la fin de Bonne soirée et, le 30 juin de la même année, le lendemain d’un concert à la Place des Nations, à l’Expo, Zappa est en studio à Montréal pour enregistrer une chanson de Robert Charlebois (Petroleum), qu’il avait croisé plusieurs années auparavant (en 1967) en Californie.
1974… On connaît déjà les premiers disques de Contraction (1972), d’Offenbach (1972), de Brégent (1973), d’Octobre (1973) et de Ville Émard Blues Band (1973). C’est en 1974 que Maneige lance son premier disque, sur lequel on trouve une musique instrumentale exigeante qui ne pactise guère avec la musique populaire d’hier. Enfin, c’est également en 1974 qu’un trio acoustique lance son premier disque de chansons. Ce trio s’appelle Harmonium. La même année paraissent aussi les premiers disques de Sloche et de Toubabou. On connaîtra bientôt Pollen (1976), Et Cetera (1976), Dionne-Brégent (1976), Conventum (1977), L’Engoulevent (1977), Ungava (1977) et L’Orchestre sympathique (1979).
En 1977, c’est un autre raz-de-marée britannique qui frappe le monde, celui du mouvement punk qui prône un retour aux sources du rock and roll avec, en exergue, Do it Yourself et, comme credo, No Future. Certains avaient vu venir le coup : Robert Fripp mettait fin à King Crimson en 1974 pour devenir une unité indépendante (il y reviendra !), Peter Gabriel quittait Genesis. Pour une étude détaillée des innovations apportées par Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, on pourra se référer au livre Sgt. Pepper and the Beatles – It Was Forty Years Ago Today, paru aux éditions Ashgate en 2008, sous la direction d’Olivier Julien en 1975. C’est en 1977, au moment où il commence à peine à toucher au succès international, que Serge Fiori met un terme à l’aventure d’Harmonium. La fatigue que ressent Fiori est généralisée et la grande ère des groupes de musique progressive s’achève, au Québec. Ils ne disparaîtront pas tout à fait et se transformeront (on parle presque déjà de « musique actuelle »), mais le monde a définitivement changé, et leurs musiques ne retrouveront pas les succès publics qu’elles avaient pourtant suscités dans la décennie qui prend fin.
Plus de trente ans après, où en est-on ? Le groupe britannique Yes, un phare du rock progressif, célébrait en 2008 son 40e anniversaire par une tournée américaine avec à sa tête un chanteur… québécois ! Benoît David a été recruté pour ses performances exceptionnelles au sein du groupe-hommage Close to the Edge. Un autre groupe-hommage québécois, The Musical Box, a tourné aux États-Unis et en Europe en reprenant la musique de Genesis et, dans son cas, ce sont les membres du groupe original qui sont venus se joindre à lui lors de quelques rencontres impromptues ! Il y a des dizaines de groupes qui reprennent encore aujourd’hui les répertoires des grands groupes de rock progressif européens (ou québécois, comme Premier Ciel, qui reprend Harmonium), mais si on pouvait rêver un peu, dans le paysage « staracadémique » qui est le nôtre, c’est bien à des retours que l’on penserait… Un beau petit festival, avec les vrais Conventum, Octobre, Morse Code, Sloche et compagnie, ce serait quand même pas mal, non ? Pour nourrir ce rêve, les deux disques de ce coffret sont sans doute la meilleure nourriture.
Réjean Beaucage